Le Québec va bloquer les sites de pari non autorisés

25 Nov. 2015

La province canadienne du Québec progresse dans son plan qui vise à ordonner aux FAI (fournisseurs d'accès Internet) de bloquer les sites de pari non autorisés, une décision qui, pour beaucoup de ses détracteurs, s'apparente à une tentative de censure d'internet.

D'après le journal The Globe and Mail, Carlos Leitao, ministre des Finances du Québec, a déposé un projet de loi au moment du vote du budget provincial. Annoncé en mars, ce projet inclut des amendements à la loi locale pour la protection du consommateur, lesquels permettront d'ordonner aux fournisseurs de service internet de bloquer les « sites de pari non autorisés ». D'après le rapport, un site de pari est considéré comme étant « non autorisé » s'il n'est pas approuvé par Loto-Québec. Les plateformes contrevenantes feront l'objet d'amendes pouvant aller à 100 000 $ ou même 200 000 $ en cas de récidive. Par cette décision, les autorités espèrent récolter pour le compte du site du gouvernement, Espacejeux, des revenus de pari en ligne supplémentaires de 13,5 millions de dollars au cours de l'exercice 2016-2017, puis de 27 millions de dollars au cours de l'année d'après.

En fait, l'application d'une telle loi impliquerait que les joueurs du Québec auront immédiatement beaucoup moins de choix quant aux sites de pari sur lesquels ils pourraient choisir de se rendre. Les sites n'ayant pas l'autorisation accordée par Loto-Québec seront en effet incapables de fournir leurs services dans cette région. Cela rend non seulement la vie de ces joueurs plus compliquée, mais affecte également les droits constitutionnels au libre choix et crée des conditions favorables à la censure.

Pour Timothy Denton, président de l'ISOC Chapter, un groupe qui œuvre pour qu'Internet demeure gratuit et accessible à tous, ce plan établit un dangereux précédent de censure de l'Internet. La décision est d'ailleurs techniquement inapplicable, étant donné que le Québec ne dispose pas de l'autorité nécessaire pour réguler Internet de la sorte. Denton déclara à la presse : « C'est de la pure censure. Cela bloque l'accès aux sites qui autrement seraient légalement accessibles, ceci dans le seul but d'accroitre le monopole de pari d'une seule entité ». Il exprima également son avis sur le plan du gouvernement, affirmant que le programme était non seulement « couteux », mais qu'il était aussi « futile » et « établissait un mauvais précédent ». Il ajouta : « De nombreux pays essaient de faire cela, mais nous ne les qualifions pas de démocraties libérales ».

Le président Denton avait déjà envoyé une lettre à Leitao en juillet dernier, afin de protester contre le plan du gouvernement. Il indiquait dans cette dernière qu'il serait trop couteux de mettre en place un système pour obliger des fournisseurs d'accès internet à établir un blocage, et que les obligations légales pouvaient contraindre les plus petits fournisseurs d'accès Internet à la faillite tout en augmentant les coûts d'Internet. Denton indiqua également que cette décision serait susceptible d'entraver l'autorité du gouvernement fédéral sur les télécommunications. Le ministre reconnut avoir reçu la lettre, mais n'a encore délivré aucune réponse jusque-là.

En outre, il existe des moyens par lesquels les Canadiens pourraient contourner le blocage prévu par le gouvernement. Denton déclara au journal que de nombreux Canadiens utilisaient déjà des VPN (virtual private network ou réseau privé virtuel) pour regarder du contenu qui n'est pas disponible dans le pays. Encore plus simple, les joueurs peuvent juste remplacer leurs DNS (système de noms de domaine) par ceux fournis par les serveurs DNS gratuits.

En dépit de ses appréhensions par rapport aux plans du gouvernement, Denton a admis que le pari peut être un problème pour certains individus. Toutefois, il a souligné que le pari en ligne n'est pas illégal « et il ne faudrait pas essayer de l'interdire ». Le plan du Québec a déjà suscité de nombreuses critiques, surtout au vu du fait que son adoption conduira à l'octroi d'accréditations de pari en ligne aux opérateurs choisis, une décision qui est largement perçue comme étant une faveur faite à la branche d'Amaya Gaming située à Montréal, branche avec laquelle Loto-Québec a établi un partenariat commercial.

Bram Abramson, directeur juridique et chef des affaires règlementaires pour TekSavvy Solutions Inc., un fournisseur d'accès Internet indépendant, déclara : « Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles cette mesure ne pourrait pas tenir ». Il ajouta : « Mais si c'est le cas, cela pourrait avoir de réelles répercussions en créant un précédent... C'est la première fois qu'un gouvernement canadien aura ordonné aux FAI de bloquer de manière systématique du contenu et de choisir à quelle partie d'Internet vous pouvez avoir accès ou non ».

Abramson continua en disant que TekSavvy disposait d'un « bon nombre » de clients au Québec, et qu'il serait couteux de bloquer certaines adresses de sites web seulement pour ces utilisateurs. « Nous serions obligés de restructurer notre réseau pour, en gros, isoler le Québec et mettre sur pied différents serveurs pour nos utilisateurs situés dans cette région. En substance, il nous faudrait faire tout un tas de pirouettes qui nous couteraient beaucoup de temps et d'argent, pour quelque chose qui sera inefficace ». Il ajouta également que les utilisateurs pourraient simplement changer leurs paramètres de façon à ce que leur FAI ne soit pas considéré comme leur serveur de DNS, ce qui rendrait le blocage inutile. C'est le DNS qui fait en effet correspondre le nom du site web avec l'adresse IP et qui aide à rediriger le trafic vers le bon endroit.

Nathalie Roberge, porte-parole du ministre des Finances, déclara que le gouvernement du Québec considère simplement cela comme une extension de son plan de longue date pour la régulation du pari. « Ces activités ont évolué et sont à présent répandues en ligne », affirmait-elle le vendredi 13 novembre dernier. Elle poursuivit : « Nous sommes habilités à réguler les activités de pari, et c'est exactement ce que nous faisons dans le cadre de ce projet ». Elle affirma que les allégations selon lesquelles les mécanismes de blocage seraient futiles sont « hypothétiques », tout en ajoutant qu'ils allaient « suivre la situation de près ». Mlle Roberge n'a pas fixé l'échéance à laquelle la législation proposée serait votée en loi, et a déclaré que la question serait d'abord débattue et examinée.

Les représentants de Cogeco Cable Inc., Videotron Ltd. et BCE Inc., quelques-unes des plus grandes entreprises sur internet au Québec, ont soumis des demandes de commentaires à l'Association canadienne des télécommunications sans fil. Kurt Eby, directeur des affaires règlementaires pour le groupe industriel, déclara qu'ils étaient toujours en plein examen de la loi, mais que cela suscitait déjà des questions à propos des défis techniques, des coûts de mise en œuvre et de la création d'un précédent pour d'autres juridictions. « Il existe plus de 70 petits FAI au Québec. Quelle est la limite de l'implication financière de cette mesure qu'ils pourraient supporter avant que cela n'ait un impact majeur sur leurs activités ? » Mr Eby déclara qu'il sera également décidé si la loi sur les télécommunications pourrait autoriser le blocage de certains sites spécifiques par les FAI.

Quoi qu'il en soit, les joueurs québécois peuvent pour l'heure continuer de parier sur tous les sites de pari de leur choix, étant donné que la loi n'est pas encore appliquée. Toutefois, ils peuvent aussi se mettre à chercher un plan B, celui qu'ils pourront suivre si jamais la loi venait à être mise en œuvre.